Histoire d’une découverte (3) – L’étude scientifique commence

(3) – L’ÉTUDE SCIENTIFIQUE COMMENCE –  Je ne sais pas si vous vous faites une idée du nombre d’étapes nécessaires à la préparation d’un essai clinique. C’est un processus très long et compliqué, qui doit être porté par des experts et, moi, je ne le suis pas.

Il faut le présenter par devant un comité d’éthique, constitué de travailleurs de la santé, d’avocats, de bioéthiciens et de «simples» citoyens, entre autres. Son rôle est celui d’évaluer si la recherche vaut la peine et si elle apporte vraiment de nouvelles connaissances médicales ou de véritables avancées cliniques, ainsi que celui de vérifier qu’elle n’implique aucun risque pour les participants.

Il faut préparer les consentements éclairés pour les patientes, faire des calculs mathématiques pour savoir combien de patientes doivent être inclues de sorte que les résultats soient statistiquement significatifs, établir les objectifs de travail, la méthodologie, les matériaux, etc.

Il faut aussi contracter une assurance liée à cet essai concret qui, dans notre cas, n’a comporté aucune surtaxe, vu que le Ministère espagnol de la Santé ne l’a pas considéré comme un dispositif médical mais comme un produit de consommation, en toute sécurité.

En Juin 2014, après avoir finalisé toutes ces étapes et études préliminaires, nous avons enfin complété la phase de conception de l’essai clinique sous la direction du Dr Àlex Garcia-Faura, qui est notre chef scientifique.

Je dois aussi remercier de leur aide et de leur génialité les doctoresses Blanca Piedrafita et Isabel Pérez, deux personnes clés dans la conception et la publication de ce travail.

L’objectif principal était celui de vérifier si les mouvements de la bouche et de la langue, qui nous avaient tellement stupéfiés quelques mois auparavant, se produisaient réellement en réponse à l’audition du fœtus et comment évoluaient-ils tout au long de la grossesse

Nous recrutâmes alors des patientes de notre centre, enceintes d’entre 14 et 39 semaines. Dans chaque cas, nous étudiâmes cette réponse avant, pendant et après la stimulation musicale fœtale en 3 périodes consécutives de 5 minutes.

Nous avons aussi évalué l’activation du fœtus, c’est-à-dire, la présence de mouvements de la tête et des extrémités pour voir si la musique les réveillait.

En outre, pour mesurer le bienêtre du bébé, nous avons analysé les variations du rythme cardiaque fœtal et le flux sanguin dans l’artère cérébrale moyenne.

Nous avons déterminé 3 groupes différents de patientes:

  1. Avec musique par voie abdominale émise à 98 décibels d’intensité (un niveau équivalent au bruit généré par un train en marche).
  2. Avec un vibromasseur sexuel, car nous devions nous assurer que la réponse des fœtus était due à la musique et non seulement aux vibrations sonores. Le son émis par le vibromasseur vaginal atteignait une intensité de 68 décibels, ce qui équivaudrait à une discussion à haute voix. Et n’ayez crainte! Les femmes enceintes peuvent les utiliser parfaitement.
  3. Avec musique par voie vaginale à 54 décibels (le niveau d’une conversation normale).

La musique choisie pour l’étude initiale fût la Partita pour flûte traversière seule en la mineur BWV 1013 de Jean-Sébastien Bach.

Foto 1

Groupes en fonction du stimulus: Musique abdominale, vibration vaginale, musique vaginale.

Pendant trois mois, nous avons évalué 106 patientes sans aucun incident au niveau médical et sans qu’aucun effet nocif de l’utilisation de l’appareil vaginal n’ait été observé. En revanche, nous avons été agréablement surpris par l’émotion que les futurs parents montraient lors des séances d’échographie, en voyant leurs bébés faire ces mouvements du visage, de la bouche et de la langue si spectaculaires.

Foto 2

Foto 3

Le Dr. Alex Garcia-Faura réalisant une échographie à une patiente enceinte en utilisant le Babypod.

La plupart des patientes a décidé de renouer l’expérience et il y en a même qui sont venues accompagnées de la famille lors des échos suivantes. La vérité c’est que nous avons été stupéfiés par le flot de demandes de participation. En moins d’un an, nous avions inclus plus de 1.000 patientes dans des études parallèles sur l’audition du fœtus par voie vaginale.

Et ceci malgré le fait que le premier prototype était assez grand et plutôt gênant! Ça ne les dérangeait pas. Elles étaient ravies! Un jour, alors que j’étais avec une des patientes du groupe du vibrateur, j’avais la télécommande dans ma main et je ne me suis pas rendue compte qu’il était au maximum… en sortant, elle a même dit à une infirmière: “Quels drôles d’études qu’ils font!”

Dans les salles d’échographies, la musique retentissait sans arrêt, et les patientes ne savaient pas à quel moment le dispositif commençait-il à émettre de la musique voie vaginale, ni si elles appartenaient ou pas au groupe des patientes de contrôle, pour lesquelles l’appareil n’était même pas mis en marche.

Toutes les explorations ont été filmées, et les enregistrements ont été ensuite visionnés et analysés par d’autres gynécologues n’ayant pas réalisé les échographies.

Les essais en double aveugle servent à éviter que les résultats de la recherche soient influencés par l’effet placebo ou par les perceptions subjectives de l’observateur. Ainsi, ni les personnes participantes ni les chercheurs ne savent qui appartient au groupe de contrôle (recevant le placebo) et qui, au groupe expérimental.

Cette étude scientifique a sa partie technique et méthodologique mais, pour les médecins, il y a aussi une implication émotionnelle importante.

Tout au long de notre carrière, quand on faisait une échographie, le fœtus n’était qu’un sujet passif, que l’on observait et mesurait; mais, avec ces échos, l’expérience d’être capable de le réveiller, de générer une réponse chez lui et, en définitive, d’être en mesure de communiquer avec le bébé est tellement excitante…

A l’occasion de beaucoup de ces échographies, les émotions des parents dans une situation si intense nous imprégnaient nous aussi, gynécologues. Nous nous trouvons sans doute face à une découverte passionnante!

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